- NAPLES (histoire de l’art)
- NAPLES (histoire de l’art)NAPLES, histoire de l’artCapitale politique aux destins sinueux, ville royale sous plusieurs dynasties, Naples ne connut pas la fortune de négoce de Gênes ou de Barcelone. Mais son décor naturel et archéologique en fait depuis le Settecento une étape obligée du tourisme érudit. Bien entendu, le voyageur moderne ne retrouve aucunement ce qui fut consigné autrefois par tant d’amateurs éduqués. Le vieux Naples est, toutes portes ouvertes, l’image même du dénuement, la vigoureuse matrice d’un chômage endémique. On n’y est lazzarone que par nécessité, et le dolce farniente n’est que cliché éculé; au contraire, le bruit, le mouvement vont d’abord aux sens; jusqu’à l’exaspération. Légende de Nordique que celle des Napolitains oisifs; parce qu’ils vivent dans la rue, devant leurs bassi ? ou parce que leur manque parfois le travail depuis la fin du fascisme? En ont-ils que les voici durs au travail, qui s’affairent tard dans la soirée. On concédera seulement que le marasme y est plus léger à endurer qu’à Manchester ou à Hambourg. D’où les niaiseries des auteurs du XVIIIe siècle sur le «climat qui relâche les fibres» (Addison) ou sur le «prétendu mendiant napolitain qui pourrait très bien dédaigner la place de vice-roi en Norvège» (Goethe).Cependant, qui saurait, au cœur profond du vieux Naples, qu’un grand port est tout proche? Naples, en effet, ne va plus à la mer. Santa Lucia est vouée à l’écœurante banalité du tourisme, avec ses maîtres d’hôtel, ses mandolines et ses boîtes à musique-souvenir. Le Castel Nuovo, arbitrairement posé sur des pelouses comme un gros jeu de bâtisse, annule le mariage de l’antique cité avec ses docks. Les grandes machines d’architecture du Palais Royal et de San Francesco di Paola ou le zeppelin vitreux de la galerie Umberto primo désaimantent au cœur de la ville l’influx marin; car la mer va à Naples, et merveilleusement; c’est du large qu’il faut aborder la cité dont l’amarrage à la côte a depuis toujours suscité l’admiration. Ainsi, pour le président De Brosses: «Sa situation est ce qu’il y a de plus beau.»En été, sous la touffeur blanchâtre de la canicule, Naples se tait; mais c’est à la nuit tombée que sa chair s’éveille aux transes; il faut aller en chercher l’impression forte dans le quartier entre la gare et la Porta Capuana ou encore dans l’antique et étroite via Tribunali. Elle suit le tracé même de la principale rue de l’antique Neapolis. Son gabarit convenait à des demeures de modeste ampleur, comme on en voit encore à Herculanum, mais non point aux gigantesques palais de la Renaissance ou de l’âge baroque. D’imposants portails donnent sur des venelles, et de grandioses scénographies étouffent dans l’étroitesse de médiocres impasses. Ces palais sont depuis longtemps désertés des familles nobles; la plèbe qui y pullule les a ruinés en y abritant d’immondes nécessités; le ciel est barré par le pavois du linge et parfois les ménagères haut perchées montent leurs victuailles dans un panier suspendu. Dans ces tranchées urbaines, le pittoresque populaire prime sur la curiosité archéologique. On ne prête guère attention aux églises si nombreuses, mais on ne peut manquer d’être frappé par l’abondance des tabernacles, ces oratoires où, derrière des vitrages utiles, des christs expirent, des vierges se transpercent sur fond d’âmes du purgatoire qui dansent parmi les flammes de stuc vermillon. Des fleurs y meurent, mais des lampes y brillent de jour comme de nuit. On en doit la multiplication au père Rocco qui vécut au siècle des Lumières. Bien plus surprenantes sont les guglie , l’une au devant des Jésuites, l’autre, évidemment, vis-à-vis des Dominicains; ces machines de marbre chantourné, avatars tuméfiés des obélisques, sont le produit d’une dévotion populaire inquiète. La foi trouve à Naples son terrain d’élection dans l’extrême redondance et le pathos. Le goût baroque pour la profusion et le scintillant est encore bien vivant aujourd’hui dans la bimbeloterie religieuse comme dans l’apparat funèbre. Naples a de fastueux corbillards, tandis que la religion supporte une ritualité toute de gestes et d’émotions sur fond de merveilleux. On ne compte pas les insignes reliques dont s’enorgueillissaient les Napolitains; tout le monde connaît la liquéfaction du sang de saint Janvier, qui se produit à date fixe dans un grand concours d’émotion collective; mais pourquoi oublier qu’à Saint-Louis-du-Palais le lait de la Vierge se liquéfiait pareillement, et qu’à Santa Maria Bonna Romita le sang de saint Jean Baptiste bouillonnait «pendant qu’on dit la messe de la décollation», comme en témoigne ce mauvais esprit de Misson. Rite, merveilleux, superstition n’en finissent pas à Naples de se dissiper, mêlés aux espoirs des petits négoces et aux affaires de cœur, sous l’empire doucement venimeux des mass media.
Encyclopédie Universelle. 2012.